Attention, ce billet révèle des éléments majeurs de l’intrigue du film d’Eureka seveN, et de manière plus générale ne s’adresse qu’à ceux qui ont vu le film.
Quand une série TV a du succès et qu’elle se retrouve adaptée en film il y a deux possibilités. La solution de facilité est de remonter la série en un ou plusieurs films, en prenant soin d’ajouter quelques scènes inédites pour justifier le prix du ticket auprès des fans. Bien souvent, ce qui en résulte est un film avec des plans à la réalisation technique d’une série TV qui se retrouvent pauvres sur grand écran, mais surtout une histoire à la narration bordélique au possible, compréhensible seulement par ceux qui ont vu la série avant. On trouve cependant dans le lot quelques perles comme la trilogie des films de Mobile Suit Gundam, et des échecs cosmiques comme Death, le résumé non chronologique des 24 premiers épisodes d’Evangelion.
L’autre solution est de tout reprendre à zéro et faire un retelling de la série, permettant aux scénaristes de s’éloigner du scénario de cette dernière, voire de jouer avec. On obtient ainsi un long métrage avec une animation exemplaire et un scénario cohérent car écrit pour être un récit complet tenant dans les 90-120 mins du film. C’est comme ça que son nés des chef-d’œuvres comme Macross : Te souviens-tu de l’Amour ?, Utena : L’Apocalypse de l’Adolescence ou le récent Rebuild of Evangelion. Cette solution, bien sûre plus prestigieuse, est aussi bien évidement plus coûteuse et risquée pour la production qu’un simple remontage.
Pocket ga Niji de ippai (La poche pleine d’arcs-en-ciel), renommé good night, sleep tight, young lovers à l’international (1), choisit une option entre les deux. Le film est composé à 60% de plans de la série TV, pour certains fortement retravaillés, mais raconte une histoire très différente celle de la série TV. Ainsi, s’il fallait rapprocher ce film d’un autre du même genre, ce serait du film de RahXephon, Tagen Hensôkyoko, (réalisé par le même Kyôda Tomoki) qui, bien que composé majoritairement de scènes de la série TV et racontant une histoire similaire changeait de nombreux détails, relations entre les personnages et même les motivations de ces derniers, et finissait par être meilleur que la série TV.
Mais on va ici bien plus loin. L’histoire de Pocket ga Niji de ippai n’a plus grand chose à voir avec la série TV. Les modifications sont d’une portée toute autre, et le scénario diverge encore plus de celui de la série que celui du film d’Escaflowne ! On en arrive à un tel point que la même scène peut avoir deux sens radicalement différents entre chaque version. Cela a d’ailleurs dû être un vrai casse-tête lors de la réalisation pour accorder les plans existants et les placer dans le scénario, et inversement au niveau de l’écriture pour que le scénario puisse être mis en image sans avoir à tout réanimer.
Parmi les changements les plus frappants vient le changement d’ambiance. Fini la contre-culture cool omniprésente dans la série TV et avec toute le cadre dérivé de la thématique musicale. L’ambiance du film est plus mélancolique et plus lourde, à l’image du souvenir des jours heureux qu’ Eureka et Renton ont perdus à jamais. Le thème et le contre-thème omniprésent dans la bande originale renforcent incroyablement cette ambiance. La scène d’introduction du film, inspirée par les leçons de vie de Maetel à Tetsuro dans Ginga Tetsudô 999, est à ce sujet une merveille. Le personnage de Dominic y est réutilisé d’une manière brillante et Renton par sa narration fixe très vite le ton du film.
Kyôda joue avec le spectateur qui a vu la série TV, à tel point que ceux pour qui le film est le premier contact avec Eureka seveN risquent d’être fortement perdus. On trouve un nombre incroyable d’inversions : Renton est désormais celui qui commence à bord du Gekko et Eureka le rejoint, c’est Renton qui comprend le Nirvash et plus Eureka… Le concept est poussé à un tel point que les images sont appelés eizo dans la version anglaise ! (2) Kyôda joue aussi avec les attentes des fans, en faisant du duel épique attendu entre le Nirvash et le theEND une bagarre entre deux larves digne de gamins, en remplaçant le Nirvash specs 3 par le specs-V. À côté de ça, certains aspects sont rushés et sous-entendent que le spectateur sait ce qui se passe, notamment le passage du Nirvash specs 1 au specs 2 qui est cette fois une transformation, contre une upgrade dans les règles dans la série.
Les personnages, s’ils sont presque tous là (seul Ray, Charles et Gonzy n’apparaissent plus, le grand père de Renton et les enfants d’Eureka eux se contentent d’un court caméo), voient leur caractère devenir radicalement différent et sont souvent utilisés à contre-sens : Holland, notamment, réussit à être encore plus détestable que dans la 2ème partie de la série. La seul constante entre la série et le film sur ce point-là est probablement le couple Eureka-Renton qui reste véritablement inchangé alors que l’histoire se passe dans un contexte radicalement différent. C’est probablement là un des axes majeur du film : quel que soit l’univers, quelle que soit la situation, quels que soient les sacrifices, ces deux-là sont destinés à finir ensemble.
Une des questions les plus présentes dans la tête du spectateur tout du long du film est le positionnement de son histoire par rapport à celle de la série TV.
On a plusieurs faits qui semblent indiquer que l’on a affaire à une préquelle de la série TV : L’action se situe pendant l’invasion des Images, le Châtiment Divin vient d’être achevé, le Megaroad est prêt à quitter la Terre.
En contrepartie, le fait que l’histoire d’Eureka et Renton dans la série TV soit devenue un mythe, que certains robots qui entrent en service à la fin de la série soient déjà présents ou que Talho soit capitaine du Gekko font pencher la balance vers une suite.
Enfin certaines scènes, à commencer par celle où l’équipage du Gekko se retrouve dans un monde avec une Lune gravée, vont eux dans la direction d’un univers parallèle à celui de la série…
Objectivement le film est les trois à la fois et aucun des trois… Ce positionnement quasi quantique a de quoi véritablement frustrer le spectateur qui ne sait comment interpréter ce qu’il voit.
S’ajoute à cela la thématique du mythe omniprésente qui brouille les cartes, la série TV étant devenue une légende. Holland et l’équipage du Gekko qui ont été transportés dans le monde de cette légende, le Pays Imaginaire (Peter Pan étant cette fois l’œuvre littéraire sous laquelle Kyôda place son film), tentent de le recréer ce mythe… Mais au final cet Eureka et ce Renton créeront leur propre légende. La mise en abîme avec la série TV et le processus de recréation différente via le film est ici évidente. Quant à la fin Anemone parle de rêves, du besoin de souvenirs afin de rêver et anticipe les évènements de la série TV en prophétisant qu’un jour tous les êtres vivants prendront part à la légende avant se laisser derrière elle un livre blanc, indiquant que tout reste à écrire, c’est le coup de grâce. Tant d’interprétations incompatibles possibles se chevauchent sans pour autant qu’une seule se dégage vraiment via une preuve décisive de sa pertinence, et on ne peut que se demander où le réalisateur voulait aller.
Questionné sur ce sujet lors de sa venue le 3 juillet à la Maison de la Culture du Japon à Paris pour présenter le film, Tomoki Kyôda s’est embrouillé : il a expliqué par exemple que montrer la lune avec le message « Eureka + Renton » était une fausse piste pour tromper ceux qui ont vu la série TV, mais aussi ceux qui ne l’ont pas vue (!), avant de partir dans une explication assez confuse de l’animation limitée. Il a fallu que Masahiko Minami, son producteur, prenne la parole pour limiter les dégâts. Une chose était alors sûre : le réalisateur lui-même ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants de son film !
Pourtant, au cours de cette soirée, Kyôda a lâché une information capitale pour la compréhension du film : à l’origine il souhaitait renommer tous les personnages, y compris Eureka et Renton, mais cela lui a été refusé afin de ne pas tuer la franchise. De là, on peut plus aisément comprendre comment le film est devenu ce qu’il est. Obligé de garder les mêmes noms pour des personnages qui n’avaient plus rien à voir avec leurs modèles, Kyôda raconte son histoire en sachant que le spectateur ne manquera pas de se poser des questions. Il tente d’arrondir les angles en y ajoutant une mise en abîme avec toute la thématique de recréation du mythe, mais ça ne suffit pas à compenser un défaut trop profondément ancré.
good night, sleep tight, young lovers est une œuvre particulière, assez dérangeante au premier abord, surtout pour celui qui connaît bien Eureka seveN. Cependant, une fois que l’on a un peu laissé décanter les impressions à chaud, il en reste un grand film, certes plus intéressant pour les démarches artistiques qui ont guidé sa création que pour ses qualités propres. L’impossibilité de le situer clairement par rapport à la série est frustrant, mais ce n’est pas une des préoccupations de l’œuvre qui paradoxalement aura du mal à exister seule. Eureka était une grande série TV et un peu de rab’ n’est pas de refus, même s’il souffre d’une écriture assez maladroite. Comme un bon ragoût meilleur une fois réchauffé, ce film passe bien mieux lors de revisionnages en sachant à quoi s’attendre.
1 : Ce titre, dans la tradition des titres d’épisodes de la série, fait référence à la chanson Pocketful Of Rainbows d’Elvis Presley. Le titre international lui peut être une référence à de nombreuses chansons, en premier lieu desquelles Good Night des Beatles. Tomoki Kyôda ayant refusé de commenter ce titre, il est fort possible que ce à quoi il fait vraiment référence reste dans l’ombre.
2 : Eizo (映像) signifie bien évidement image en japonais.
Kôkyô Shihen Eureka Seven: Pocket ga Niji de Ippai est © BONES / Project EUREKA MOVIE
J’avais vu ce film dans les mêmes circonstances, mais je fais partie de ceux qui n’ont pas encore vu la série TV.
Pour un spectateur tel que moi, j’ose dire que ce long-métrage tend parfois à l’arnaque : il y a de nombreuses questions qui restent sans réponse dans le scénario, et j’ai dû à plusieurs reprises me tourner vers mon voisin – qui lui connaissait l’original – pour lui demander si la série donnait des explications. Il me répondait que non, mais j’aurais vu ce film seul, j’aurais très bien pu penser que je n’avais pas toutes les réponses car je n’avais pas vu la version TV, alors qu’il n’y a tout simplement pas de réponses…
Sans trop se focaliser sur son scénario, il s’agit d’un film impressionnant et disposant de plusieurs bons moments, mais la conférence du réalisateur semblait insinuer que celui-ci avait privilégié le côté artistique, la performance de reprendre des plans de l’anime TV mais avec un scénario totalement différent, au détriment de l’intérêt du film en tant que film. Rien que le fait de découvrir Eureka seveN par ce biais sans connaître la première version est dommageable, puisqu’il devient impossible d’apprécier la performance technique.
Oh, Tetho a un blog maintenant :D bon courage !
Je n’ai vu ce film qu’une fois (même si d’après ton dernier paragraphe, il mériterait au moins un autre visionnage), mais il ne m’a laissé qu’une grosse impression de confusion. Le fait que le réalisateur ne sache semble-t-il pas non plus où il allait ne fait que me rassurer.
Le plus gros problème que j’ai avec cette réinterprétation de la série est qu’elle est toujours hésitante sur son parti pris. Elle veut à la fois s’éloigner le plus possible de la série de base en brouillant toutes les pistes et en mélangeant les personnages, mais elle veut aussi faire des liens et donner aux fans des pseudos-indices. D’ailleurs comment réussir à s’éloigner vraiment d’une série dont on reprend 60% de l’aspect graphique ? Au moment où on arrive à assimiler le nouveau contexte et à plus ou moins oublier sa provenance, paf une scène identique et qu’on connait par coeur vient nous rappeler que non, ce film ne sort pas de nulle part.
En plus comme Gemini évoque, il ne donne pas particulièrement envie à ceux qui découvrent l’univers Eureka seveN avec ce film, d’aller voir la série. Dommage, vu le succès plutôt d’estime de cette dernière, ça aurait pu être un bon moyen de relancer un peu la franchise.
(au passage c’est plutôt Senseless non?)
Et les salaires ?
Kirox > (Ho purée si -_-)
Je pense être arrivé à bien appréhender le film la seconde fois. Y a que la séquence de fin que je ne comprend vraiment pas, j’y ressent un message du style « on va vivre, quoi qu’il arrive. » mais ça se passe quand ? Cent ans après le prologue à cause des fleures qui brilles enfin tel l’arc en ciel ?Qu’est-ce que l’espèce de neo-Gekko qui apparait le temps de 2 (!) plans dans le ciel ? Limite ce passage me semble être au film ce que le film est à la série.
Le film est clairement maladroit, rien que la démarche « raconter une nouvelle histoire avec des stock shots » le fait partir du mauvais pied. Mais j’y vois aussi clairement la volonté de raconter une histoire sincère et de transmettre quelque chose. Et ça ça me laisse pas insensible, un peu comme avec 5cm par seconde de Shinkai.
Je découvre ce blog une semaine après tout le monde.
Il y a un unique point qui n’est pas abordé dans le billet et qui me paraît important, c’est que le scénariste en chef de la série, le très bon Dai Sato, a été évincé sur ce film. Et ceci explique sans doute cela.
Contrairement à Tetho, mon second visionnage n’a en rien atténué ma déception. Je continue de voir en ce film par ailleurs esthétiquement loupé un charabia d’une pédanterie cosmique, un abandon net et simple de toute tentative de story-telling et une réinvention étriquée et déprimante d’un univers autrefois multicolore. C’en est tragique de revoir tous ces protagonistes réduits à des pantins uniquement déterminés par leurs souffrances. Tout l’équipage du Gekko-Go est sacrifié par le long-métrage. Un peu comme le Nirvash d’ailleurs, qui n’est jamais défini, que l’on regarde changer du stade de larve pokemonisée à celui de robot humanoïde, puis d’avion supersonique à un nouveau type encore plus organique doté d’un sceptre. L’effet quel qu’il soit est foiré au possible en l’absence de stabilité du monde présenté.
Le script aurait pu éviter ça s’il n’avait pas confié des rôles cruciaux à des personnages qu’aucun fan ne souhaitait revoir plutôt que de désigner des priorités. S’il ne passait pas du coq à l’âne en permanence, de phases pseudo-policières à des phases d’assauts robotiques aériens, de phases romantiques mielleuses à des phases de rhétorique supposément philosophique, sans la moindre unité de ton. Même les quelques essais d’humour tombent à plat, une aberration quand on sait les moments savoureux que proposait la série dans ce registre. Le scenario et ses dix sous-intrigues n’en font vivre aucune, et c’est à peine si l’on se souvient des Images à la fin du film. En tout cas une chose est certaine, elles font partie des cent bourrages de crâne qui n’auront servi à rien dans le dénouement de l’action.
Et puis la cerise sur le gâteau, ce sont les difficultés du réalisateur à justifier de la raison d’être du film ou de son sens face à un public. Elles laissent à soupçonner qu’il n’a pas davantage compris son propre bousin que nous autres profanes.
A part l’idée du dispositif permettant de repérer les « âmes » environnantes, utilisé par Holland dans une bonne séquence vers la fin du film, il n’y a vraiment pas grand-chose à sauver d’après moi. Et dire que je voulais faire un commentaire en dix mots.
T’as aussi raté de le faire en 10 phrases.
Au moins on a du Eureka à p0il à la fin! o/ (et un bout d’Anémone aussi :3 )
[…] juger l’aspect psychologique de Dominique (puisqu’il parait que cela diffère entre le film et l’anime d’origine), mais graphiquement cela me rappelle effectivement […]
[…] juger l’aspect psychologique de Dominique (puisqu’il parait que cela diffère entre le film et l’anime d’origine), mais graphiquement cela me rappelle effectivement […]
[…] dans le ciel, et en a les hormones toutes émoustillées. Pas d’article sur la série chez Tetho, mais sur le film qui en a été tiré. Alors je le cite sur Mata-Web : « La série à […]