Evangelion 3.0 : You can (not) understand26 avril 20136 mai 2013Tetho

Ce billet est blindé de révélations sur l’ensemble du film,
si vous ne l’avez pas déjà vu tapez Ctrl+W immédiatement.
Merci pour vous.

 

 

 

Billet rédigé après un second visionnage, amendé avant publication après un troisième puis un quatrième. J’écris ce texte avant d’avoir lu ce qui a pu être écrit sur le film depuis 6 mois, en partie afin de coucher à l’écrit mes impressions à chaud, avant d’être contaminé par ce que ceux qui ont vu le film en salle ont pu écrire dessus ou même d’avoir ouvert le pamphlet du film qui est encore dans sa pochette plastique depuis 6 mois que je l’ai récupéré.

Evangelion 3.0 est à peu près tout ce que l’on n’attendait pas de lui, ou tout du moins il n’est pas tout ce qu’on attendait légitimement de lui. Déjà parce qu’aucun des plans montrés ou des évènements mentionnés dans la bande-annonce placée à la fin du précédent film ne s’y trouve, mais surtout parce que rien de ce qu’il s’y déroule, à part la mort de Kaworu, n’était vraiment imaginable en sortant du 2.0 il y a maintenant bientôt 4 ans. En fait tout le film semble avoir été créé pour déstabiliser et perdre le spectateur, pour créer en lui un sentiment marqué d’incompréhension.


Les layouts du films étant particulièrement travaillés, j’illustrerai ce
billet avec certains des plans que je trouve les plus réussis à ce niveau.

Le spectateur va découvrir avec Shinji un monde, 14 ans après la fin du précédant film, partagé entre d’un côté les derniers survivants de l’humanité qui semblent lui en vouloir à mort et de l’autre une NERV qui n’emploie plus que trois personnes et qui ne s’intéresse à lui qu’en tant que pilote d’Evangelion. Il va se nouer d’amitié avec Kaworu, seule personne à s’ouvrir à lui, et va accepter de repiloter une Eva afin de corriger le monde. Sauf qu’il va par la même occasion jouer le jeu de son père pour qui, comme toujours, tout se passe comme prévu. Voilà, c’est grossièrement tout ce qui se passe durant le film. Après l’incroyable densité du 2.0, qui devait rendre le contenu de plus de 12 épisodes en 108 minutes, le contraste avec cette sobriété narrative qui n’adapte en gros que la seconde partie de l’épisode 23 et l’épisode 24 a de quoi choquer. Et pas qu’un peu.

La première partie du film est incroyablement frustrante. On y découvre petit à petit que le gros du personnel de la NERV a fondé WILLE, une organisation qui a pour objectif  l’éradication de la NERV. L’ambiance anxiogène y est incroyable, les nouveaux designs fascinants, on pense à la fin de Nadia ou à Yamato, on y découvre de nouveaux personnages, dont la sœur de Tôji, et on tente de comprendre ce qui a pu se passer en 14 ans. Je dis bien tenter, car si on comprend clairement que tout le monde en veut à Shinji pour avoir éradiqué l’humanité lors du Near Third Impact, personne ne lui expliquera rien ni même lui fera le moindre reproche clair, et le spectateur sera perdu avec lui.
Du coup au bout d’une demie-heure de film le spectateur est de tout cœur avec Shinji quand ce dernier décide de partir sans demander son reste. Le moment le plus fort de cette partie est probablement quand Misato dit à Shinji de ne rien faire d’une voix sèche, la même Misato qui a toujours été le personnage qui comprenait le mieux Shinji, celle qui avait une vraie empathie pour lui, la même Misato qui lors de l’éveil de l’Eva-01 l’avait encouragé en lui hurlant « Vas-y Shinji ! Ne le fais pas pour quelqu’un d’autre, mais parce que tu le veux !« .
Et puis une fois Shinji parti, plus rien. Tout ça quitte le film et ne reviendra que brièvement pendant le combat final. On n’en saura pas plus sur l’organisation, ses objectifs ou les raisons qui ont poussé tout le monde à faire sécession avec la NERV. On ne saura strictement rien de tout ces nouveaux personnages. On ne comprendra pas vraiment ce qui a pu se passer.

La suite est radicalement différente. Le rythme se fait plus lent, la mise en scène plus contemplative. Personne ne semble s’intéresser à Shinji en tant qu’individu, pas son père qui l’accueille une fois de plus d’un « Chinchiwa, tu vas piloter l’Eva ! » ni Rei qui ne semble intéressée que par les ordres qu’on lui confie. Et là on comprend pourquoi Shinji va être attiré par Kaworu, le seul qui va le considérer comme un être humain, lui apporter de la chaleur et lui donner des réponses, aussi dures soit-elles. Le seul qui va lui proposer d’agir pour corriger ses erreurs. Le seul prêt à lui pardonner ses péchés au point d’accepter de recevoir à sa place son châtiment.
C’est là la grande réussite du film, encore mieux que dans la série TV : la relation entre Shinji et Kaworu apparaît naturelle, logique. Au point que ces plans où Shinji rougit en regardant son ami dans les yeux, et qui sont autant d’appels du pied aux habituées du comiket, ne m’apparaissent presque pas gênants. J’en suis encore à me demander quel était le véritable objectif de Kaworu, l’apprentissage du piano à quatre main finissant par se révéler comme étant une façon de se préparer à piloter l’Eva-13. Mais une chose est sûre, quand il accepte de porter le DSS Choker à la place de Shinji, il est près à aller au bout de sa démarche et à en payer le prix. Il semble véritablement agir pour le bien de Shinji, indépendamment de ce que la NERV ou la SEELE ont pu lui confier…

La troisième partie, quand à elle, est un bordel narratif sans nom. Les enjeux sont incroyablement flous et de nouveaux éléments sont parachutés trop souvent. Shinji et Kaworu vont descendre dans les ruines du Central Dogma pour récupérer la Lance de Longin et celle de Cassius (!), plantées dans l’Eva Mk.06 et le cadavre de Lilith (!!). Après avoir été attaqué par les Evas de WILLE (!!!), Shinji réussit, contre l’avis de Kaworu, à récupérer les deux lances. À ce moment-là Rei, conformément aux ordres qui lui ont été donnés, décapite l’Eva Mk.06, libérant le douzième ange (!!!!) qui va fusionner avec l’Eva-13, en réalité un Adams, pour déclencher son éveil et avec le Fourth Impact (!!!!!). Kaworu se révèle dans la même scène être le premier Ange puis se retrouve déchu à la place de treizième (!!!!!!) dont tout ce qui arrive est la faute (!!!!!!!). La suite est une bataille très confuse qui s’achèvera par l’échec du Fourth Impact, la mort de Kaworu sous les yeux d’un Shinji impuissant, la retraite de WILLE et un « tout de passe comme prévu » de Gendô qui semble être devenu la nouvelle SEELE à lui tout seul. Et au final Asuka, Shinji et Rei se retrouvent à nouveau ensemble et partent en quête de « là où se trouvent les Lilims » (????????).

Pfiou… Bon courage pour comprendre clairement se qu’il se passe dans la dernière demie-heure du premier coup.

Enfin le film se termine sur un aperçu complètement halluciné du dernier film montrant l’Eva-08+02, fusion improbable façon Baron Ashura des deux Evas de WILLE, exterminant au katana ce qui ressemble à des Evas Mk.06 produites en séries. Cet extrait sent bon le foutage de gueule de la part d’Anno, comme si aussi bien côté réalisation que spectateur on sait parfaitement que quoi qu’il mette dedans, personne ne croira un instant que ça finira dans le film définitif. L’annonce du titre ambigu* du dernier film, Shin Evangelion Gekijôban :||, sonne comme l’ultime moyen de faire parler les bavards jusqu’à la première bande-annonce.

J’identifie trois types d’incompréhensions distinctes qui m’ont frappées en découvrant ce film :
– Premièrement celle de ne pas me retrouver en face du film attendu. Bien sûr je n’avais pas échappé aux commentaires ici et là et je savais que je devais m’attendre à quelque chose de différent, mais j’ignorais que ça allait être aussi différent que ça ! Tout a changé : Misato se retrouve adversaire de la NERV et Gendô reprend le flambeau de la SEELE. Alors que l’on pouvait s’attendre à un combat entre l’Eva-01 de Shinji, née de Lilith, et le Mark.06 de Kaworu, que l’on devinait née d’Adam, ils pilotent ensemble la même Eva… Nombre de pistes lancées durant les précédents films sont abandonnées, l’ellipse permettant, du passé, de faire table rase.
– Ensuite vient l’incompréhension due au fait que l’on ne sait presque rien sur ce qui s’est passé pendant les 14 ans depuis le Near Third Impact. Kaworu expliquera en partie la situation, mais de manière si cryptique qu’on en ressort avec plus de questions qu’avant.  Que s’est-il vraiment passé après la fin du précédent film ? Quelle part de l’humanité est encore en vie ? Que s’est-il passé au QG de la NERV ? Quand a attaqué le onzième ange, jamais mentionné de tout le film ? (Anno avait déjà fait le coup de l’Ange oublié lors du premier film) Comment la Mark.06 a-elle été contaminée puis scellée ? Quand-est-ce que WILLE est née et pourquoi ? Tant de questions et bien évidement aucune réponse…
– Enfin l’incompréhension qui naît de la confusion du final, avec tellement d’informations à gérer en même temps. Anno y donne l’impression de réécrire la mythologie de sa série en temps réel et en mode OSEF. Par exemple, tout ce qui traite de la nature profonde des Evas et de leurs liens à leurs pilotes semble remis en cause. On se doutait déjà de quelque chose quand Mari pilotait l’Eva-02, mais là on va plus loin quand Kaworu et Shinji en pilotent une à deux alors que le film confirme que l’âme de Yui est bel et bien celle de l’Eva-01.

Et il me semble que les trois à la fois sont clairement le produit d’une volonté de la part d’Anno et non le résultat d’un bête script médiocre. Et c’est là ma vraie interrogation devant ce film : que lui restera-il une fois tout cet effet levé par les visionages successifs ? Une fois la chronologie lacunaire de l’ellipse assimilée et les évènements de la fin compris. Quelle est la vraie substance de ce film qui ne raconte au fond que la relation entre Shinji et Kaworu ? Quelle est sa place dans le Grand Récit que se veulent être les nouveaux films d’Evangelion ? Tout comme le précédent film, de nombreux éléments semblent ne pouvoir trouver un sens, ou non, dans le prochain et dernier film. Alors qu’en même temps il continue de teaser, de manière plus subtile cette fois, la possibilité que cette continuité soit bien une boucle temporelle liée à la fin de l’Evangelion original.

Si Evangelion 1.0 ressortait grandi et meilleur une fois revu après le 2.0, tous les choix d’adaptation étranges et les éléments qui semblaient de trop prenant rétrospectivement un sens, ici c’est probablement l’inverse, le 2.0 devient un peu plus étrange, la direction dans laquelle il envoyait l’histoire moins compréhensible. On sait que le 2.0 a été réécrit plus d’une fois, et dans des versions très différentes, lors de sa pré-prod. J’aimerais savoir combien de fois c’est arrivé pour le 3.0.

Je me demande réellement si Anno sait où il va et ce qu’il va faire avec tous ces nouveaux éléments qui arrivent de partout, tout en refusant de justifier la place de certains comme Mari qui ne sort toujours pas du rôle de l’ombre d’Asuka et donc a du mal à exister en tant que personnage. Si ça passait pour son introduction, maintenant que le personnage est clairement installé dans la franchise c’est une déception. Et c’est là tout le risque pour Anno : soit il réussit à donner un sens à tout ça dans FINAL et on ne pourra que saluer le génie, soit tout s’écroule comme un château de cartes mal construit et la presque décennie qu’Anno aura passé sur ce projet apparaîtra comme assez vaine.

Pourtant, scénario mis à part, Evangelion Shin Gekijôban : Q est un film fabuleux. Son image cadrée en 2.35:1, exploitée par des layouts de dingue ajouté à un storyboard irréprochable en font un des films d’animation japonais avec un sens de la cinématographie les plus marqués de ces dernières années. Les designs des (nombreux) nouveaux éléments sont incroyables, je suis impatient de la sortie de l’artbook qui les compilera pour mieux les observer mais aussi découvrir les designs refusés. Là dessus le travail est indéniable, mais en plus irréprochable et impressionnant. Et puis contrairement aux retours de ceux qui ont vu le film en salle, l’animation 2D est très bonne, même si c’est plus celle des personnages que celle des robots qui brille. D’ailleurs le mouvement des robots s’éloigne encore plus de ce que l’on pouvait voir dans The End of pour une stylisation très sakuga moderne. À voir jusqu’où ça ira dans le prochain film.
Mais surtout il y a cette force d’évocation incroyable, cette puissance visuelle inégalée. Il y a cette fascination que seul Evangelion arrive à créer en moi qui fait que malgré tout je n’ai pas vraiment subi le film, mais j’ai au contraire jubilé tout du long.

Et pourtant je ne sais toujours pas quoi penser du film, s’il est bon ou mauvais, si j’ai apprécié ou pas. Et je ne le saurai probablement pas avant la fin de la tétralogie, la fin risquant d’être la seule chose qui pourra justifier la place de cet OVNI dans le Grand Récit que se veulent être Les Nouveaux Films d’Evangelion. Si j’admire la façon dont Anno a réussi à revenir à un Shinji plus passif après que ce dernier est devenu proactif au possible à la fin du précédent film, une évolution du personnage qui risquait d’invalider le besoin du plan de complémentarité de l’homme, je ne sais que penser de ce film où à chaque fois que Shinji tente de faire quelque chose qu’il perçoit comme positif, il ne fait qu’empirer la situation. Ce film où tout le monde l’accable sans jamais rien lui expliquer. Ce film dont il semble en sortir dans un état encore pire que celui, pas glorieux, dans lequel il l’a commencé… Mais je veux croire que tout ça a un sens, que Misato a volontairement laissé Shinji partir, que l’on évitera une explication vaseuse façon « tout n’était pas de ta faute, les onzième et douzième anges ont bien empiré le bordel que tu as laissé ! »,
Maintenant il va être temps d’essayer de comprendre plus en profondeur le film. Chercher le sens de cette ellipse de 14 ans (représentation du syndrome de l’otaku qui ne grandit pas, à la Top wo Nerae! ?), identifier les motifs placés ici et là, analyser les nouveaux éléments mythologiques introduits et trouver leur place (pour ça il risque malheureusement de falloir attendre un databook quelconque vu qu’ils sont introduits sans la moindre présentation).

Maintenant plus que jamais est le moment de se replonger sans retenue dans Evangelion.

 

*: Déjà le titre Evangelion repasse de la graphie ヱヴァンゲリヲン, réservée au nouveaux films, à エヴァンゲリオン, celle de la série TV et des films classiques. Ensuite le Shin du titre, en plus de se retrouver en tête du titre, passe en katakana. Du coup impossible de savoir si c’est le Shin de nouveau (新) ou celui de véritable (真). Le titre peut donc signifier, au choix, « Le nouveau film d’Evangelion« , « Le film du nouvel Evangelion » ou « Le film du véritable Evangelion« . De plus le titre du film sera :||, symbole de solfège de la répétition, ce qui ne manque pas d’apporter de l’eau au moulin des partisans de la théorie du reboot.  Mais là encore l’ambiguïté est de mise puisque si :|| indique qu’il faut rejouer la partie qu’il concerne, || sans les deux points signifie la fin du morceau. Donc selon que les deux points, déjà présents dans les titres des trois films précédents, sont ou non attachés au || le sens du titre change radicalement. Bref on a là de quoi occuper les fans pour un moment. Bien joué Anno, bien joué…

Et en bonus, le moment le plus impressionnant de tout le film : la liste des sponsors.

Evangelion Shin Gekijôban : Q est ©Khara