good night, sleep tight, young lovers ou Sensless seveN11 décembre 20096 janvier 2012Tetho

Attention, ce billet révèle des éléments majeurs de l’intrigue du film d’Eureka seveN, et de manière plus générale ne s’adresse qu’à ceux qui ont vu le film.

Quand une série TV a du succès et qu’elle se retrouve adaptée en film il y a deux possibilités. La solution de facilité est de remonter la série en un ou plusieurs films, en prenant soin d’ajouter quelques scènes inédites pour justifier le prix du ticket auprès des fans. Bien souvent, ce qui en résulte est un film avec des plans à la réalisation technique d’une série TV qui se retrouvent pauvres sur grand écran, mais surtout une histoire à la narration bordélique au possible, compréhensible seulement par ceux qui ont vu la série avant. On trouve cependant dans le lot quelques perles comme la trilogie des films de Mobile Suit Gundam, et des échecs cosmiques comme Death, le résumé non chronologique des 24 premiers épisodes d’Evangelion.
L’autre solution est de tout reprendre à zéro et faire un retelling de la série, permettant aux scénaristes de s’éloigner du scénario de cette dernière, voire de jouer avec. On obtient ainsi un long métrage avec une animation exemplaire et un scénario cohérent car écrit pour être un récit complet tenant dans les 90-120 mins du film. C’est comme ça que son nés des chef-d’œuvres comme Macross : Te souviens-tu de l’Amour ?, Utena : L’Apocalypse de l’Adolescence ou le récent Rebuild of Evangelion. Cette solution, bien sûre plus prestigieuse, est aussi bien évidement plus coûteuse et risquée pour la production qu’un simple remontage.

Pocket ga Niji de ippai (La poche pleine d’arcs-en-ciel), renommé good night, sleep tight, young lovers à l’international (1), choisit une option entre les deux. Le film est composé à 60% de plans de la série TV, pour certains fortement retravaillés, mais raconte une histoire très différente celle de la série TV. Ainsi, s’il fallait rapprocher ce film d’un autre du même genre, ce serait du film de RahXephonTagen Hensôkyoko, (réalisé par le même Kyôda Tomoki) qui, bien que composé majoritairement de scènes de la série TV et racontant une histoire similaire changeait de nombreux détails, relations entre les personnages et même les motivations de ces derniers, et finissait par être meilleur que la série TV.
Mais on va ici bien plus loin. L’histoire de Pocket ga Niji de ippai n’a plus grand chose à voir avec la série TV. Les modifications sont d’une portée toute autre, et le scénario diverge encore plus de celui de la série que celui du film d’Escaflowne ! On en arrive à un tel point que la même scène peut avoir deux sens radicalement différents entre chaque version. Cela a d’ailleurs dû être un vrai casse-tête lors de la réalisation pour accorder les plans existants et les placer dans le scénario, et inversement au niveau de l’écriture pour que le scénario puisse être mis en image sans avoir à tout réanimer.

Parmi les changements les plus frappants vient le changement d’ambiance. Fini la contre-culture cool omniprésente dans la série TV et avec toute le cadre dérivé de la thématique musicale. L’ambiance du film est plus mélancolique et plus lourde, à l’image du souvenir des jours heureux qu’ Eureka et Renton ont perdus à jamais. Le thème et le contre-thème omniprésent dans la bande originale renforcent incroyablement cette ambiance. La scène d’introduction du film, inspirée par les leçons de vie de Maetel à Tetsuro dans Ginga Tetsudô 999, est à ce sujet une merveille. Le personnage de Dominic y est réutilisé d’une manière brillante et Renton par sa narration fixe très vite le ton du film.

Kyôda joue avec le spectateur qui a vu la série TV, à tel point que ceux pour qui le film est le premier contact avec Eureka seveN risquent d’être fortement perdus. On trouve un nombre incroyable d’inversions : Renton est désormais celui qui commence à bord du Gekko et Eureka le rejoint, c’est Renton qui comprend le Nirvash et plus Eureka… Le concept est poussé à un tel point que les images sont appelés eizo dans la version anglaise ! (2) Kyôda joue aussi avec les attentes des fans, en faisant du duel épique attendu entre le Nirvash et le theEND une bagarre entre deux larves digne de gamins, en remplaçant le Nirvash specs 3 par le specs-V. À côté de ça, certains aspects sont rushés et sous-entendent que le spectateur sait ce qui se passe, notamment le passage du Nirvash specs 1 au specs 2 qui est cette fois une transformation, contre une upgrade dans les règles dans la série.
Les personnages, s’ils sont presque tous là (seul Ray, Charles et Gonzy n’apparaissent plus, le grand père de Renton et les enfants d’Eureka eux se contentent d’un court caméo), voient leur caractère devenir radicalement différent et sont souvent utilisés à contre-sens : Holland, notamment, réussit à être encore plus détestable que dans la 2ème partie de la série. La seul constante entre la série et le film sur ce point-là est probablement le couple Eureka-Renton qui reste véritablement inchangé alors que l’histoire se passe dans un contexte radicalement différent. C’est probablement là un des axes majeur du film : quel que soit l’univers, quelle que soit la situation, quels que soient les sacrifices, ces deux-là sont destinés à finir ensemble.

Une des questions les plus présentes dans la tête du spectateur tout du long du film est le positionnement de son histoire par rapport à celle de la série TV.
On a plusieurs faits qui semblent indiquer que l’on a affaire à une préquelle de la série TV : L’action se situe pendant l’invasion des Images, le Châtiment Divin vient d’être achevé, le Megaroad est prêt à quitter la Terre.
En contrepartie, le fait que l’histoire d’Eureka et Renton dans la série TV soit devenue un mythe, que certains robots qui entrent en service à la fin de la série soient déjà présents ou que Talho soit capitaine du Gekko font pencher la balance vers une suite.
Enfin certaines scènes, à commencer par celle où l’équipage du Gekko se retrouve dans un monde avec une Lune gravée, vont eux dans la direction d’un univers parallèle à celui de la série…
Objectivement le film est les trois à la fois et aucun des trois… Ce positionnement quasi quantique a de quoi véritablement frustrer le spectateur qui ne sait comment interpréter ce qu’il voit.

S’ajoute à cela la thématique du mythe omniprésente qui brouille les cartes, la série TV étant devenue une légende. Holland et l’équipage du Gekko qui ont été transportés dans le monde de cette légende, le Pays Imaginaire (Peter Pan étant cette fois l’œuvre littéraire sous laquelle Kyôda place son film), tentent de le recréer ce mythe… Mais au final cet Eureka et ce Renton créeront leur propre légende. La mise en abîme avec la série TV et le processus de recréation différente via le film est ici évidente. Quant à la fin Anemone parle de rêves, du besoin de souvenirs afin de rêver et anticipe les évènements de la série TV en prophétisant qu’un jour tous les êtres vivants prendront part à la légende avant se laisser derrière elle un livre blanc, indiquant que tout reste à écrire, c’est le coup de grâce. Tant d’interprétations incompatibles possibles se chevauchent sans pour autant qu’une seule se dégage vraiment via une preuve décisive de sa pertinence, et on ne peut que se demander où le réalisateur voulait aller.
Questionné sur ce sujet lors de sa venue le 3 juillet à la Maison de la Culture du Japon à Paris pour présenter le film, Tomoki Kyôda s’est embrouillé : il a expliqué par exemple que montrer la lune avec le message « Eureka + Renton » était une fausse piste pour tromper ceux qui ont vu la série TV, mais aussi ceux qui ne l’ont pas vue (!), avant de partir dans une explication assez confuse de l’animation limitée. Il a fallu que Masahiko Minami, son producteur, prenne la parole pour limiter les dégâts. Une chose était alors sûre : le réalisateur lui-même ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants de son film !

Pourtant, au cours de cette soirée, Kyôda a lâché une information capitale pour la compréhension du film : à l’origine il souhaitait renommer tous les personnages, y compris Eureka et Renton, mais cela lui a été refusé afin de ne pas tuer la franchise. De là, on peut plus aisément comprendre comment le film est devenu ce qu’il est. Obligé de garder les mêmes noms pour des personnages qui n’avaient plus rien à voir avec leurs modèles, Kyôda raconte son histoire en sachant que le spectateur ne manquera pas de se poser des questions. Il tente d’arrondir les angles en y ajoutant une mise en abîme avec toute la thématique de recréation du mythe, mais ça ne suffit pas à compenser un défaut trop profondément ancré.

good night, sleep tight, young lovers est une œuvre particulière, assez dérangeante au premier abord, surtout pour celui qui connaît bien Eureka seveN. Cependant, une fois que l’on a un peu laissé décanter les impressions à chaud, il en reste un grand film, certes plus intéressant pour les démarches artistiques qui ont guidé sa création que pour ses qualités propres. L’impossibilité de le situer clairement par rapport à la série est frustrant, mais ce n’est pas une des préoccupations de l’œuvre qui paradoxalement aura du mal à exister seule. Eureka était une grande série TV et un peu de rab’ n’est pas de refus, même s’il souffre d’une écriture assez maladroite. Comme un bon ragoût meilleur une fois réchauffé, ce film passe bien mieux lors de revisionnages en sachant à quoi s’attendre.

1 : Ce titre, dans la tradition des titres d’épisodes de la série, fait référence à la chanson Pocketful Of Rainbows d’Elvis Presley. Le titre international lui peut être une référence à de nombreuses chansons, en premier lieu desquelles Good Night des Beatles. Tomoki Kyôda ayant refusé de commenter ce titre, il est fort possible que ce à quoi il fait vraiment référence reste dans l’ombre.
2 :
Eizo (映像) signifie bien évidement image en japonais.

Kôkyô Shihen Eureka Seven: Pocket ga Niji de Ippai est ©  BONES / Project EUREKA MOVIE