Le décès de Dezaki Osamu le mois dernier a été un choc pour les animefans du monde entier, non seulement aux égards dus à l’œuvre qu’il laisse derrière lui mais aussi parce qu’il s’annonce comme le premier d’une longue série. Dezaki faisait partit de ses pionniers qui ont commencé à travailler dans l’animation avec Tezuka à l’époque de Mushi Pro et cette génération de réalisateurs nés au moment de la deuxième guerre mondiale se font tous vieux. Il faut donc petit à petit à se faire à l’idée que d’ici une dizaine d’années nous feront face à une animation japonaise sans Tomino Yoshiyuki, sans Oshii Mamoru, sans Takahashi Ryôsuke, sans Rintarô, et pire que tout sans Miyazaki Hayao.
J’en profite pour lancer un appel, certes un peu dans le vide, aux éditeurs et organisateurs d’évènements : ne tardez pas à inviter ces hommes qui ont écrit l’histoire de l’animation japonaise de leurs mains, bien trop vite il sera trop tard pour qu’ils partagent avec nous leurs expériences et leur passion, pour les remercier de ce qu’ils nous ont apporté ou même pour voir Tomino nous expliquer en quoi il incarne tout ce que l’animation japonaise actuelle doit abattre. Il sera encore temps d’inviter des imposteurs comme Okada Mari, Maeda Jun, Yamakan ou Shimbô Akiyuki ensuite.
Pendant que d’autres pleurent Matsuno Akinari et plutôt que de revenir sur la carrière de Dezaki, Ialda l’a déjà fait mieux que je l’aurais fait, ou un titre particulier de sa carrière, je pense que beaucoup de mes lecteurs ont déjà vu ses plus célèbres titres, je vais préférer, en guise d’hommage, parler de ce qui est devenu avec le temps sa marque de fabrique : les harmony cels.
Cobra se tape la pause, ça mérite bien un harmony cel.
Les harmony cels, aussi appelés harmony shots ou figés-images sont ces plans dans un dessin animé où l’image se fige et devient sans rupture un crayonné ou une peinture. L’animation (au sens du mouvement, du sakuga) disparaît et l’image retranscrit alors un instantané, comme une photo ou un tableau. Je vois une très grosse différence de rendu entre un simple effet de temps qui se fige, par exemple quand le héros ou l’héroïne est dans une situation critique et doit réfléchir à ce qu’il doit faire pour s’en sortir, et cette technique qui sublime vraiment l’instant pour en souligner l’importance au sein du récit. Bien souvent ces images se retrouvent en fin de plan, voire même de scène, et en renforce l’ambiance, mais beaucoup plus rarement on les retrouve aussi au milieu d’un plan même, sublimant un instant avant que l’action ne reprenne pour une efficacité incroyable. Insérez un harmony cel en fin d’épisode sur un cliffhanger, vous en démultiplierez l’effet, placez-le au climax d’une scène dramatique, sa puissance n’en sera que plus forte, utilisez-en un lors d’un combat quand un coup porte et celui là deviendra alors un des moments clefs du combat.
Mais à côté de ces considérations artistiques et relatives à la mise en scène les harmony cels avaient un autre avantage majeur : ils permettaient d’économiser de l’animation en laissant la même image occuper l’écran jusqu’à parfois plus de trente secondes.
Grâce à cette double force, à la fois artistique et économique, les harmony cels furent omniprésents dans les années 80 et 90 et on les retrouve largement utilisés, avec plus ou moins d’efficacité, même dans des séries comme Dragon Ball ou Sailor Moon.
Comment crée-t-on un harmony cel ? C’est assez simple en réalité et l’image ci-dessous devrait vous éclairer.
Photo empruntée à la galerie ruberslug de Minouche.
Je redirige avant tout ceux qui ne connaissent pas les bases de la créations d’un cellulo en animation vers la partie dédiée du dossier de Joe Gillian sur Cobraworld.
Pour créer le harmony cel, on retire un deuxième cellulo de l’image que l’on va figer mais au lieu de le coloriser en le peignant au dos de la feuille de celluloïd, on va peindre à l’acrylique, l’aquarelle ou bien crayonner sur une feuille à part la colorisation qui sera ensuite superposée au cellulo ne contenant que les traits. C’est là une des forces de cette technique d’ailleurs, la colorisation étant faite sur une feuille de papier elle permettait de mélanger plusieurs techniques pour arriver au rendu final.
On anime donc le plan normalement, et une fois arrivé à la fin on remplace le cel par sa copie non peinte, ce qui assure que les traits ne bougent pas, et le décor par la feuille de colorisation ; une fois les deux réunis l’effet est garanti. Bien sur parfois il y a des ratés, comme sur ce plan tiré de Takarajima où l’on voit bien que le cellulo et les couleurs ne se superposent pas parfaitement, ce qui tue l’effet.
La fin d’Ashita no Joe 2 est probablement le harmony cel le plus connu de l’animation japonaise.
Comme dit plus haut les harmony cels étaient omniprésents dans animes avant le passage à la colorisation et l’animation par ordinateur, mais c’est Dezaki Osamu et son compagnon de toujours Sugino Akio qui en firent un art. Par une utilisation des plus judicieuse et efficace mais surtout systématique de la technique, ils ont pu sublimer les œuvres, souvent dures et dramatiques, sur lesquelles ils ont travaillé. Dezaki l’expliquait lui même « Un dessin arrêté, ça donne aussi le sentiment d’une photo chargée de souvenirs, comme une photo de famille ou un souvenir de voyage, bref une image qui reste dans la mémoire. C’est comme si je glissais quelques photos dans mon histoire. Cette technique me permet de faire ressortir la beauté de l’instant. J’aime transmettre de l’émotion, peut-être parce que j’ai travaillé sur Ashita no Joe. Beaucoup de mes travaux sont assez durs et dramatisés. » 1. Ce n’est pas pour rien si malgré tout cette technique restera à jamais associés à ce duo mythique, ils furent les seuls à les avoirs utilisés systématiquement de manière aussi pertinente.
La combinaison de l’effet du harmony cel et du flou renforce l’effet de flashback de ce plan de Takarajima.
Et aujourd’hui ? La mort de l’animation par cellulo a fort logiquement condamné le harmony cel en tant que tel qui est maintenant associé aux vieilles œuvres : on voit l’effet être émulé pour parodier de vieux animes ou bien donner un rendu rétro (comme le montre cette image tirée du jeu Super Robot Taisen Alpha 3). Mais pourtant ce qui fait l’âme du harmony cel, la technique du figé-image, reste bien présente dans l’animation japonaise. En effet l’ordinateur permet encore plus d’effets pour sublimer ces moments, il n’y a presque pas de limite. D’ailleurs Dezaki lui-même ne l’a pas ignoré et ses animes produits en numérique n’en manquent pas. Mais s’il ne faut citer qu’une utilisation récente, efficace et judicieuse de la chose je citerais le film d’Heartcatch Precure!, l’instant de la rencontre entre Olivier et Tsubomi est rendu en 3 images fixes sur lesquelles ont été appliqués un flou et du grain, et dont les couleurs ont été saturées.
La scène des adieux entre Oscar et Marie-Antoinette est probablement mon
harmony cel préféré tant il en fait ressortir la puissance et l’émotion.
1 : propos tirés de l’article de Ludovic Gottigny sur Ashita no Joe publié dans Japan Vibes n°21.
Les images illustrant ce billet appartiennent à leurs propriétaires respectifs.
Excellent article.
Mes harmony cels favoris sont probablement ceux de Onisama e… En terme de qualité de réalisation, il s’agit peut-être de mon oeuvre préférée de Osamu Deaki, celle où il exprime le mieux son style et où cela possède le meilleur rendu.
Dans les animes récents, le premier « arc » de Otogizoushi utilise cette technique en fin d’épisode, et à chaque fois le résultat est saisissant.
Par contre, j’ai commencé Ultraviolet Code 044, sa dernière série TV (c’est aussi sa dernière collaboration avec Akio Sugino), et j’ai pour l’instant l’impression que le réalisateur abuse de ses propres « gimmicks », allant jusqu’à employer ses harmony cels à tort et à travers sans que cela ne serve véritablement le récit. J’espère que cela s’améliore par la suite, mais pour l’instant – et cela me désole de le dire, compte-tenu de l’amour que je porte à Osamu Dezaki – c’est raté.
Par contre, je me souviens que des séries comme UFO Robo Grendizer utilisent beaucoup de plans fixes, travaillés comme des harmony cels (en particulier lors des scènes de panique consécutives à une attaque de soucoupes), mais qui n’ont aucun lien avec une séquence d’animation. Est-ce que nous pouvons les compter comme des harmony cels ?
Bien sûr que ça en est. Le terme harmony cel désigne le format des cels et non leur utilisation dans la mise en scène. Même si dans ces cas là le but était d’économiser de l’animation plus que de produire un effet de style dans la mise en scène.
Sinon c’est pas plutôt Shin Genji Monogatari la dernière série TV de Dezaki ? (voir même son dernier anime tout court, je me souviens pas qu’il ait réalisé des trucs en 2010)
Effectivement ; comme Ultraviolet a mis des années avant de sortir en intégralité, j’ai cru qu’il était plus récent, mais c’est bien par Genji Monogatari qu’il a terminé. Dans un sens, cela me rassure.
Maintenant que j’y pense, je ne me souviens plus s’il y a des harmony cels dans son film Clannad. A vérifier.
J’ignorais que ça avait un nom particulier, pour moi c’était juste des « plans fixes crayonnés »… Bref comme d’habitude, tu es instructif :)
[/noob]
En tout cas je me souviens que c’était grâce à ça que j’avais réalisé que c’était lui derrière le film de Black Jack.
Je trouve que c’est un effet sans juste milieu, c’est vraiment « ça passe ou ça casse », sans compter le petit effet sonore qui accompagne souvent l’image et qui tend vers le kitch quand mal utilisé.
Gemini -> je suis sûre qu’il y en a au moins un à la fin :)
Je connaissais pas du tout cette appellation technique et pourtant dieu sait combien j’en ai croisé des illustrations de ce genre.
Comme séries récentes qui abusent d’harmony cels, il y a bien Giant Killing et Rainbow mais j’avoue que l’effet n’était pas toujours vraiment folichon.
Si je te dis fin de l’épisode 82 de GinEiDen, on appelle comment ce genre d’artwork introduit? A lire ton explication je doute qu’il s’agisse d’harmony cels.
Très bel article sinon. Honte à moi de n’avoir vu aucune œuvre de Dezaki hors époque Dorothée (et un certain film que je ne te ferai pas l’offense de citer).
Triste mais logique de le voir partir maintenant, lui qui avait contribué avec ses complices et dès les années 70s, par son travail, à faire progresser l’anime TV vers quelque chose de moins cartoon et de plus mature.
Très bel article sur un sujet, l’harmony cel, qui résume à lui seul les préoccupations de la vieille animation à papa : chercher des moyens inventifs d’économiser sur ce fameux budget animation toujours trop juste pour ce qu’on voudrait faire tout en servant la narration. Mis à part le réalisateur de talent, Dezaki fait parti de ceux qui ont contribué à créer ce langage et cet esthétisme caractéristique de l’animation japonaise qui a ensuite perduré sur des décennies.
Très intéressant, j’ai aussi croisé beaucoup de plans de ce genre mais je ne savait absolument pas que ça portait un nom bien spécifique, il est toujours temps de se coucher moins bête que la veille.
J’ai surtout vu ça en fin d’épisodes et de manière un peu abusive avec le traditionnel cliffhanger (ou parfois en scrolling pour représenter la panique), c’est fascinant de voir de quelle manière les images de ce type induisent le mouvement tout en restant figées, la parallèle avec la photographie est très vrai. Merci pour ce petit bain de culture.
Bon article.
Précédé d’une bonne introduction.
Cela dit, plutôt que d’entraver la lecture avec des « Dezaki Osamu » contre-nature, le français devrait s’en tenir à « Osamu Dezaki ».
Article intéressant et instructif comme toujours ici.
Et qui me rappelle qu’il serait temps que je m’attaque à l’œuvre de ce monsieur.
[…] cela peut vite devenir n’importe quoi. J’admire les personnes comme Exelen, FFenril, et Tetho, qui mine de rien arrivent à rester dans leur créneau de départ, à savoir l’animation […]
Attention, pour les animes produits numériquement on ne peut parler d’harmony cel puisque même si l’effet est similaire ce n’est pas un techniquement mais des effets numériques.
Sirius > j’appelle ça Show ▼
.
Sinon ça ressemble bêtement à un dessin encré.
Amrith > Cohérence éditoriale. Tout comme j’utilise systématiquement les noms originaux des œuvres, je met les noms japonais dans l’ordre japonais.
Très instructif tout ça. Et j’ignorais également que cela portait un nom bien particulier.
Ce style de plan m’avait surtout marquée dans Lady Oscar et l’île au trésor.
Gemini > il me semble que si.
Oh, je découvre le terme ! Crois tu que dans la série « baka to test to shokanju », les passages parodiques de gros plan du héros en crayonné tremblant puissent être nommés comme tel ? (Ca fait un peu référence direct mais ça bouge tout de même un peu).
C’est vrai que c’est une chose qui se fait moi, mais pourtant, qu’est ce que j’adore tous ces effets sur image. J’en garde un très bon souvenir dans la rose de versaille par exemple.
[…] Ces images sont réalisées spécifiquement pour illustrer une scène et ne sont pas vraiment réutilisables. Elles demandent beaucoup de temps et de soin pour ne servir qu’une fois et sont donc assez rare. Du coup elles servent un peu de récompense pour le lecteur. Il est intéressant de noter qu’elles partagent beaucoup de points communs avec leurs cousines de la japanime, les harmony cells. […]
très bon article :) j’ai vraiment apprécié tes explications sur les harmony cells
D’ailleurs ça me fait penser qu’ils sont de moins en moins présent dans la japanimation je trouve
[…] sur un dessin très particulier, souvent crayonné (un peu comme les harmony cels dont parle Tetho sur son blog au sujet des anime) pour accentuer les effets dramatiques. D’ailleurs bien sûr, […]
[…] le méritent. A vrai dire, on sent qu’il a voulu accentuer certains passage en utilisant des harmony cels. Mais hélas, trois fois hélas, ceci ne suffit pas à sauver ce titre du naufrage. Un anime est […]